Avec la mise en place contestée du plan Vélo, le cycliste urbain est-il devenu l’ennemi public numéro 1 ? L'économiste et urbaniste Frédéric Héran estime que Paris est engagée dans la transition “éco-mobile” et surmontera la grogne, comme l’ont fait d’autres grandes capitales européennes avant elle.
A force de tirer à boulets rouges sur la politique « pro-vélo » d'Anne Hidalgo, les « pro-bagnole » peuvent-ils espérer une quelconque victoire ? A en croire l'économiste et urbaniste Frédéric Héran, auteur de Le retour de la bicyclette. Histoire des déplacements urbains en Europe. 1817-2050, rien n'est moins sûr. Car les défenseurs de ce mode de locomotion polluant, brutal et dépassé ont historiquement tort. Le monde urbain est engagé dans une transition « éco-mobile » qui, selon le chercheur à l'université de Lille, se finira forcément par le sacre de la petite reine. Optimiste.
Sommes-nous à un moment charnière de l'histoire des déplacements urbains ?
Il est évident que nous vivons aujourd'hui une transition du « tout automobile » – où la priorité est accordée à la voiture en toute circonstance – vers la rue pour tous – partagée entre différents modes de déplacements. Toutes les villes du monde sont engagées dans cette transition que j'appelle « éco-mobile ». A Paris, on le constate en s'appuyant sur deux sources chiffrées très fiables, à savoir les comptages réalisés par la mairie sur les grands axes et les enquêtes sur les transports, sources que j'ai recoupées et qui disent sensiblement la même chose : entre 1991 et 2015, le nombre de déplacements de personnes par voiture a baissé de 45%. Il est passé de 23% à 13% du nombre total de déplacements (qui inclut la marche, le métro, le bus...).
La baisse est plutôt encourageante...
Oui, sauf que Paris est plus dense que les autres villes européennes, que ce soit Madrid, Londres ou Amsterdam, sans parler de Berlin ou Copenhague... Or la voiture est très « spatiophage », c'est-à-dire que la consommation d'espace dans la ville par personne transportée y est considérablement plus élevé que sur les autres modes. En bus, par exemple, on consomme 200 à 300 fois moins d'espace qu'en voiture ! Cela prend tellement d'espace que la ville se retrouve rapidement saturée. “A cette époque, à Amsterdam, il n'y avait presque plus de vélos” A Paris, cette « transition éco-mobile » ne va pas sans heurts, comme le montrent les attaques répétées de certains élus et représentants du lobby routier contre la piétonnisation des voies sur berge, le plan Vélo, et tous les chantiers que cela occasionne.
Observe-t-on les mêmes résistances ailleurs ?
A quelques nuances près, cela se passe toujours selon le même schéma. Aux Pays-Bas par exemple, tout le monde l'a oublié, mais il y a eu des luttes féroces entre ceux qui voulaient toujours plus de voitures et ceux qui en voulaient moins. Si on était téléportés dans l'Amsterdam de 1972, on serait sidérés de voir la haine anti-vélo qui régnait à l'époque. Dans le quartier populaire de De Pijp, les habitants sont allés jusqu'à ériger des barrières pour lutter contre l'envahissement automobile. Il y a eu des rixes. Un journaliste de renom [Vic Langenhoff], dont le fils s'était fait écraser par une voiture, avait publié un article intitulé « Halte aux meurtres d'enfants » (en néerlandais « Stop de kindermoord ») et cela a soulevé une vague d'indignation dans tout le pays. Une association s'est même créée en prenant pour nom le titre de l'article. Les politiques ont été obligés de réagir.
On pourrait croire qu'en Europe du Nord, à la différence de la France, il y a toujours eu une tradition très ancrée de la bicyclette, et très consensuelle...
Pas du tout. A cette époque, à Amsterdam, il n'y avait presque plus de vélos. La pratique avait été divisée par quatre entre 1950 et 1975 car les gens s'étaient jetés sur les petites Daf, la 2 CV néerlandaise. Des siècles d'urbanité avaient été bousillés par la voiture en deux décennies. Même chose en Allemagne : il y a eu une opposition farouche liée au lobby de l'industrie automobile, lequel est autrement plus puissant que chez nous. Quelqu'un comme Franz Josef Strauss, le ministre-président du Land de Bavière [1915-1988, fondateur de la CSU, parti bavarois de centre-droit], était à fond pour la voiture. Comment les Allemands ont-ils réussi à évoluer ? Ils ont toujours dit : « D'abord, on expérimente, on observe les effets, et si on constate un problème, on revient à la situation antérieure. »
Alors qu'en France, on aurait tendance à privilégier le passage en force ?
Disons qu'il y a des maires malins, comme à Montreuil, où l'on a supprimé 45 emplacements de parking sur une place en expliquant aux habitants que c'était provisoire, et en leur proposant ensuite de voter, de choisir entre une place vivante ou pleine de voitures. En le formulant ainsi, le maire est à peu près sûr du résultat. A l'inverse, en Suisse, la votation sur le passage en « zone 30 » [en 2001, pour une généralisation à tout le pays de la vitesse maximale de 30km/h en ville] a été un échec, car elle a été présentée de façon abstraite. Alors que si on demande aux gens « voulez-vous que vos enfants puissent jouer en sécurité dans la rue ? », c'est évident qu'ils sont pour ! Paris, de ce point de vue, a largement les moyens de demander des sondages. Et chaque fois que les Parisiens sont consultés sur la limitation du trafic automobile, ils s'y montrent favorables à 60 ou 70%.
Diriez-vous que le vélo est de gauche et la voiture de droite ?
Paris a toujours été pionnière en matière de déplacements urbains. C'est à Paris que le vélo a recommencé à rouler, et non à Strasbourg, contrairement à ce qu'on dit parfois. Mais il faut préciser que c'est Jacques Chirac [maire de 1977 à 1995] qui a amorcé le mouvement, et non la gauche. Souvenons-nous, dans les années 1970, toutes les places étaient envahies de voitures, sur le parvis de Notre-Dame, la place Vendôme..., et on pouvait passer une journée entière sans voir une seule bicyclette (0,2% de part modale en 1976). Chirac a mis le hola, avec l'accord de la population. Il a d'abord placé des potelets sur les trottoirs pour empêcher les stationnements illicites. Résultat : en 1990, le trafic automobile a commencé à reculer. Puis Tibéri [1995-2001] a continué plus fort. Alors que personne n'y croyait, il a lancé le premier plan Vélo en 1996, aménagé 180 km de pistes cyclables, lancé les études du tramway sur les Maréchaux... Et aujourd'hui, la gauche parisienne est assez stupide pour dire qu'elle est à l'origine de cette politique. A la droite qui hurle, elle pourrait répondre : « C'est vous qui avez commencé ! ».
Mais que répondez-vous aux inquiets pour qui le vélo serait l'ennemi de l'économie ?
Le vélo est un « biomarqueur » : une ville qui pédale est une ville qui va bien. Il progresse à New-York (+ 10,5% par an), à Washington (+ 14%), à Bogota, et même en Chine ! A Shangaï, il revient dans les quartiers huppés. Dans la périphérie chinoise, c'est encore le véhicule du pauvre, mais en centre-ville, c'est devenu celui de l'élite. Quant à la situation chez nous, si on écoutait Pécresse, la CCI [Chambre de commerce et d'industrie] ou la droite parisienne, on pourrait croire qu'à trop réduire la vitesse en ville, la capitale va mourir. Or, aujourd'hui, on a assez de recul pour dire que la baisse de la vitesse intra-muros (30% en 25 ans) n'a pas conduit Paris à l'agonie. Si la droite avait raison, les commerces seraient fermés, l'activité serait à l'arrêt, l'emploi et la démographie se seraient effondrés, ce qui est loin d'être le cas. Je ne défends pas Hidalgo, je constate juste, en tant que chercheur, que la droite a tort.
Disons qu'il y a des maires malins, comme à Montreuil, où l'on a supprimé 45 emplacements de parking sur une place en expliquant aux habitants que c'était provisoire, et en leur proposant ensuite de voter, de choisir entre une place vivante ou pleine de voitures. En le formulant ainsi, le maire est à peu près sûr du résultat. A l'inverse, en Suisse, la votation sur le passage en « zone 30 » [en 2001, pour une généralisation à tout le pays de la vitesse maximale de 30km/h en ville] a été un échec, car elle a été présentée de façon abstraite. Alors que si on demande aux gens « voulez-vous que vos enfants puissent jouer en sécurité dans la rue ? », c'est évident qu'ils sont pour ! Paris, de ce point de vue, a largement les moyens de demander des sondages. Et chaque fois que les Parisiens sont consultés sur la limitation du trafic automobile, ils s'y montrent favorables à 60 ou 70%.
“Je ne défends pas Hidalgo, je constate juste, en tant que chercheur, que la droite a tort.”
Paris a toujours été pionnière en matière de déplacements urbains. C'est à Paris que le vélo a recommencé à rouler, et non à Strasbourg, contrairement à ce qu'on dit parfois. Mais il faut préciser que c'est Jacques Chirac [maire de 1977 à 1995] qui a amorcé le mouvement, et non la gauche. Souvenons-nous, dans les années 1970, toutes les places étaient envahies de voitures, sur le parvis de Notre-Dame, la place Vendôme..., et on pouvait passer une journée entière sans voir une seule bicyclette (0,2% de part modale en 1976). Chirac a mis le hola, avec l'accord de la population. Il a d'abord placé des potelets sur les trottoirs pour empêcher les stationnements illicites. Résultat : en 1990, le trafic automobile a commencé à reculer. Puis Tibéri [1995-2001] a continué plus fort. Alors que personne n'y croyait, il a lancé le premier plan Vélo en 1996, aménagé 180 km de pistes cyclables, lancé les études du tramway sur les Maréchaux... Et aujourd'hui, la gauche parisienne est assez stupide pour dire qu'elle est à l'origine de cette politique. A la droite qui hurle, elle pourrait répondre : « C'est vous qui avez commencé ! ».
Mais que répondez-vous aux inquiets pour qui le vélo serait l'ennemi de l'économie ?
Le vélo est un « biomarqueur » : une ville qui pédale est une ville qui va bien. Il progresse à New-York (+ 10,5% par an), à Washington (+ 14%), à Bogota, et même en Chine ! A Shangaï, il revient dans les quartiers huppés. Dans la périphérie chinoise, c'est encore le véhicule du pauvre, mais en centre-ville, c'est devenu celui de l'élite. Quant à la situation chez nous, si on écoutait Pécresse, la CCI [Chambre de commerce et d'industrie] ou la droite parisienne, on pourrait croire qu'à trop réduire la vitesse en ville, la capitale va mourir. Or, aujourd'hui, on a assez de recul pour dire que la baisse de la vitesse intra-muros (30% en 25 ans) n'a pas conduit Paris à l'agonie. Si la droite avait raison, les commerces seraient fermés, l'activité serait à l'arrêt, l'emploi et la démographie se seraient effondrés, ce qui est loin d'être le cas. Je ne défends pas Hidalgo, je constate juste, en tant que chercheur, que la droite a tort.
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