lundi 13 juin 2016

Loi CAP : un boulevard pour la France moche ?

La commission mixte paritaire sauvera-t-elle les meubles ? Lors de la dernière étape d'examen parlementaire de la loi Création architecture et patrimoine, le 15 juin, députés et sénateurs auront-ils le courage de dire non à la France moche ?


Le diable est dans les détails (1). Particulièrement dans l'article 26 de la loi Création architecture et patrimoine qui passe à partir du 15 juin 2016 en phase finale devant la commission mixte paritaire. Enjeu du jour (et de l'avenir de nos paysages) : le « permis d'aménager », qui, dans la première mouture déposée par le gouvernement, préconisait « le recours obligatoire à un architecte ou un paysagiste pour tout projet de lotissement ». Elémentaire ? Pas pour tout le monde. En deuxième lecture, le 26 mai, les sénateurs ont retoqué le texte au prétexte qu'il y a plein d'autres « professionnels de l’aménagement et du cadre de vie » qui en sont capables… Le lobby des géomètres, qui depuis des décennies crache des rues « en raquette », des ronds-points inutiles et des petites parcelles toutes pareilles avec chacune sa petite maison bien posée au milieu sans souci du soleil ou de la vue, va donc pouvoir continuer ses désespérants mitages.

Coup de sang des architectes-paysagistes ! Le lendemain, à la Biennale de Venise, lors de l'inauguration du pavillon français, son commissaire, l'architecte urbaniste Frédéric Bonnet n'a pas caché sa stupéfaction. Ni son ironie : « La médiocrité a de beaux jours devant elle. Mais ce qui est bien avec l'actualité, c'est qu'on peut aujourd'hui lui donner un nom : celui des sénateurs frileux et sans vision qui n'ont pas osé prendre une décision simple de salut public. »

Rencontrée dans les allées des Giardini, Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l'ordre des architectes, en a remis une couche : « Comment les géomètres, qui sont des gens sérieux, peuvent-ils prétendre avoir des compétences en architecture, en paysages et en urbanisme ?! » Elle martèle, vraiment pas contente : « Voilà quarante ans qu'ils se sont assis sur ce fromage et ne veulent pas le lâcher. On peut en voir partout les ravages ! »

Dans les colonnes du Moniteur, Jean-François Dalbin, président de l'Ordre des géomètres experts a beau se dire « très attaché à l'amélioration de l'image du lotissement » et en appeler « à plus de pluridisciplinarité », il peine à convaincre. Notamment Catherine Jacquot qui le tacle sévèrement. « Je l'ai rencontré et tout ce qu'il m'a dit c'est qu'ils organisaient "des formations de quinze jours" pour sensibiliser les géomètres à ces questions d'aménagement du territoire. Quinze jours !!! Alors que nous, architectes-paysagistes qui devons être un peu bêtes, nous étudions pendant sept ans pour acquérir ces bases-là… » Le ton monte, tant pis. Car la question de la compétence est bien réelle : chacun son métier.


(1) Autre « détail » pas si anodin qu'il n'y paraît, un amendement apporté à l'article 24 de la même loi CAP veut interdire tout usage commercial de l'image des immeubles que constituent les domaines nationaux, sauf autorisation préalable. A première vue, on ne peut qu'être d'accord. En réfléchissant, on voit vite la perversion d'un texte qui peut pousser les domaines nationaux – Chambord, Versailles, etc. – au copyfraud en créant des droits privatifs sur des biens du domaine public. En clair : à faire payer ou à interdire toute représentation de leur bien sur Wikipédia, mais aussi sur les réseaux sociaux. Ma fifille qui pose dans la chaire extérieure de Ronchamp postée sur twitter ? Interdit ! Le diable se cache partout…

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