Après plusieurs jours de pluies torrentielles, les cours d’eau débordent et les inondations se multiplient. La faute aux éléments déchaînés ? Pas seulement. Ce phénomène naturel est aggravé par des pratiques agricoles délétères pour les sols.
Ça tombe, ça tombe, ça ne s’arrête plus. En trois jours, du dimanche 29 mai au mardi 1er juin, la Picardie, le bassin parisien et le nord de la région Centre ont reçu l’équivalent de deux mois de précipitations. A Paris, la pluviométrie a battu des records : lundi et mardi, il est tombé 61,3 millimètres d’eau, autant qu’en un mois entier ! Les conséquences ne se sont pas fait attendre : le Loing et l’Yerres, deux affluents de la Seine, sont sortis de leurs lits. Le Grand et le Petit Morin, deux affluents de la Marne, débordent aussi. A Paris, la Seine pourrait monter jusqu’à un niveau compris entre 5,30 m et 5,90 m ce vendredi 3 juin. Plusieurs villes se sont retrouvées les pieds dans l’eau : c’est le cas de Nemours (Seine-et-Marne), où 3.000 habitants ont dû être évacués du centre-ville inondé, et de Montargis (Loiret), noyé sous 1,80 mètre d’eau jeudi matin 2 juin.
« Ce phénomène est avant tout un problème de précipitations, de pluies longues, qui durent et qui s’infiltrent dans le sol jusqu’à saturation", dit à Reporterre Ghislain de Marsily, hydrologue et professeur émérite à l’Université Pierre et Marie Curie et à l’École des Mines de Paris. Mais pourquoi les sols saturent-ils ? Certes, ces pluies sont exceptionnelles mais, pour l’agronome Jacques Caplat, « la bétonisation, l’artificialisation des zones humides, la disparition des haies » aggravent la situation. Ce constat n’est pas nouveau, et a pu être fait à propos des inondations dans le Var, ou en qui concerne les zones humides. "Mais ce dont on parle très peu et qui me semble très important, c’est l’appauvrissement des sols agricoles », nous dit Jacques Caplat.
Un sol en bon état est riche en matières organiques, c’est-à-dire en petites racines, en petites bêtes et en particulier en vers de terre qui creusent des galeries. Le sol est alors poreux, plein de petits trous, qui lui permettent d’absorber l’eau. « Marcel Bouché, un agronome qui avait fait des études sur les infiltrations d’eau, a montré qu’un sol vivant pouvait absorber jusqu’à 300 millimètres d’eau par heure ! C’est beaucoup plus que ce qui est tombé ces jours-ci. A titre de comparaison, un orage méditerranéen violent, c’est 150 millimètres d’eau par heure », indique notre expert agricole.
Le problème est qu’avec l’intensification de l’agriculture, « les éponges sont devenues des toiles cirées », déplore Jacques Caplat. « On a peu d’arbres et peu de rotation des cultures, donc peu de racines. Le gigantisme des parcelles a entraîné l’utilisation de machines agricoles de plus en plus lourdes, qui tassent le sol. L’eau ne peut plus s’infiltrer ! » Les haies ont été arrachées, alors qu’elles faisaient barrage aux ruissellements. La disparition des zones humides dégrade encore la situation, car elles constituaient « des espaces-tampons capables d’absorber beaucoup plus d’eau que les endroits secs », regrette l’agronome.
Lydia Bourguignon, agronome et fondatrice du Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols, partage ce constat accablant en s’appuyant sur l’exemple des grandes plaines céréalières de la Beauce : « Après-guerre, dit-elle, les sols de ce territoire contenaient 4 % de matière organique en moyenne. Aujourd’hui, ce taux est inférieur à 2 %. Conséquence, les sols ne pompent plus. » Elle pointe du doigt l’utilisation de produits phytosanitaires, « le Roundup qui tue la faune capable d’aérer le sol, et des engrais qui minéralisent la matière organique, la brûlent et la consomment trop vite ».
Pire, le ruissellement ne se contente pas de favoriser les inondations ; il emporte de la terre à chaque grosse averse, le sol disparaît peu à peu. « On le voit sur les photos, l’eau est chargée, observe Lydia Bourguignon. La pluie entraîne la terre, le sol s’érode, la quantité de matière organique diminue. C’est un cycle infernal. »
Gérard Michaut, agriculteur bio dans le nord de l’Yonne, l’a constaté chez d’autres : « Ça coule, ça ravine, il y a parfois des ornières de 50 centimètres de profondeur. »
Et sur ces terres agricoles abîmées, aux inondations succède la sécheresse. Le sol n’a pas retenu d’eau. « Et si dans un mois, il y a un peu de chaleur, vous allez voir que le agriculteurs vous diront qu’ils ont des sols secs », prévoit Lydia Bourguignon. Au risque, même, de devoir irriguer…
Une situation à laquelle n’aura pas à faire face Gérard Michaut : cela fait 20 ans qu’il a adopté des pratiques de culture destinées à préserver ses sols.
« Je ne laboure pas et je ne laisse jamais mes sols nus. Il faut un mélange de paille et de racines en surface pour retenir la terre, explique-t-il. Je travaille aussi perpendiculairement à la pente, et en buttes, pour faire barrage et éviter l’érosion. » Autre mesure, il met jusqu’à huit cultures différentes, successivement sur une même parcelle. « A chaque changement, cela permet d’avoir des racines et des débris différents qui favorisent la retenue d’eau et la porosité des sols ».
Résultat, sur ses champs en pente, « quand il y a un début de glissement de terrain, il ne part que sur deux ou trois centimètres et s’arrête tout de suite. » Il suffit d’un brin de paille pour retenir la terre. Tous ces micro-barrages additionnés permettent à grande échelle d’éviter un désastre.
Et ces techniques, peu à peu, tracent leur sillon dans les champs. « Quand j’ai commencé, on était 1 % des agriculteurs à les pratiquer, se souvient le paysan. Aujourd’hui nous sommes 30 % à les avoir adoptées à des degrés divers. »
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