« La Voix du Nord » et Nice-Matin » ont enquêté conjointement sur l’arrivée de 500 tonnes d’ordures ménagères des Alpes-Maritimes à Labeuvrière dans le Béthunois. Une pratique, légale, aux antipodes de la lutte contre le réchauffement climatique.
Par Pierre-Louis Curabet Pawlak (Textes) Et Édouard Wayolle (Infographie) | Publié le 15/11/2019
Le centre de valorisation énergétique de Labeuvrière, près de Béthune, est exploité par Véolia via un contrat de délégation de servic public jusqu’en 2026. Photo Ludovic Maillard
Pourquoi ces 500 tonnes n’ont-elles pas été brûlées dans le sud de la France ? Les poubelles débordent dans les Alpes-Maritimes. C’est le résumé de la situation dans ce département du sud, limitrophe de l’Italie. Sa production d’ordures ménagères résiduelles est de 580 000 tonnes par an, alors que les trois installations de traitement du département ne permettent d’absorber que 530 000 tonnes. Dans un courriel daté de jeudi matin adressé à Nice Matin, la préfecture des Alpes-Maritimes note que « depuis 2018, une pénurie d’exutoire dans la région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA) génère des situations de crise et oblige les collectivités en charge du traitement à trouver des solutions nécessitant la plupart du temps des dérogations préfectorales au sein d’autres installations de la Région ».
Stockés au Broc, ces ballots de déchets devront attendre avant d’être traités. Tout devrait disparaître d’ici fin février 2020. Photo Grégory Leclerc / Nice-Matin
Sauf qu’en cette fin 2019, aucune solution n’a été trouvée au sein de la région PACA.
Pourquoi ces ordures ont-elles été brûlées chez nous ?
Entre PACA et les Hauts-de-France, il y a trois grandes Régions. Et plusieurs incinérateurs sur le chemin. Mais « très peu d’installations de stockage ou d’incinération de déchets disposent de capacité disponible d’ici la fin de l’année », assure la préfecture des Alpes-Maritimes. Et pour celles disponibles, « la dérogation à la zone de chalandise (qui restreint géographiquement la provenance des déchets brûlés) n’a pas été obtenue ».
À l’inverse, aucune dérogation n’est nécessaire pour le centre de valorisation énergétique de Labeuvrière. L’arrêté d’installation de celui-ci, daté de 1993, interdit seulement les « déchets étrangers ».
Est-ce que ces faits sont légaux ?
Oui. Tout est légal dans ce transport et l’incinération de ces 500 tonnes d’ordures ménagères entre le 30 octobre et le 12 novembre. Comme l’arrêté d’installation du centre de valorisation de Labeuvière ne définit aucune zone de chalandise, tout déchet – peu importe sa provenance en France – peut donc être brûlé sur le site béthunois, qui a traité au total 85 727 tonnes de déchets en 2018.
Le code de l’Environnement définit, lui, un « principe de proximité » (1) dont le respect « s’apprécie en fonction (…) de la viabilité économique des modes de traitement envisagés et disponible à proximité ». Aucune solution n’a donc été trouvée à proximité et l’incinération à Labeuvrière « évite l’enfouissement », avance Véolia, l’exploitant du site, par courriel ce vendredi.
Quel est l’impact écologique ?
Une vingtaine de poids lourds. Environ 2 400 kilomètres aller-retour entre le centre de valorisation au Broc (Alpes-Maritimes) et celui de Labeuvrière. Soit 48 000 kilomètres effectués pour brûler les poubelles cannoises et grassoises. C’est autant d’émission de dioxyde de carbone (CO2). Pour rappel, les poids lourds sont responsables de 27 % des émissions de CO2 du transport routier dans l’Union européenne.
(1) Article L541-1.
Des mesures à venir et une solution trouvée
« L’impact carbone de la valorisation dans le nord de la France de déchets produits dans le sud peut interroger, voire choquer », ont réagi les services de la communauté d’agglomération de Béthune-Bruay, jeudi soir par courriel. Prévenue en fin de semaine dernière, l’agglomération a vérifié les statuts de la délégation de service public (DSP) qui la lie à Véolia, l’exploitant du centre de valorisation (CVE) de Labeuvrière. Statuts qui « n’imposaient pas de distance maximale aux déchets apportés ; en effet, il semblait à l’époque (en 2014, lors du renouvellement de la DSP pour une durée de douze ans) que les coûts de transport limiteraient d’eux-mêmes la distance parcourue ».
L’agglomération souhaite donc agir et « un avenant au contrat de délégation interdisant ce cas de figure pourrait être proposé ». Bientôt une limite de 100 kilomètres
Du côté de la préfecture du Pas-de-Calais, on nous explique qu’aucune distance n’avait été spécifiée dans l’arrêté d’installation (1993) du CVE pour pouvoir, le cas échéant, dépanner un département limitrophe, et inversement. Mais à l’usage, l’« esprit » de l’arrêté n’a pas été respecté. Les services préfectoraux travaillent actuellement à la rédaction d’un arrêté complémentaire pour inscrire une zone de chalandise d’environ 100 kilomètres autour du centre de valorisation. Il devrait être pris « prochainement », assure la préfecture, sans plus de précision. En attendant la mise en œuvre de ces mesures locales, une solution a été trouvée dans le sud de la France : une partie du tonnage (environ 500 tonnes supplémentaires selon Nice-Matin) dédiée à Labeuvrière va être redirigée vers l’incinérateur de Vedène dans le Vaucluse. Soit mille kilomètres de trajet gagnés.
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