Météo-France publie ses projections pour la capitale en fonction des scénarios d’émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Le 25 mai 1658 à midi, rue des Poitevins, dans l’actuel 6e arrondissement de Paris, il faisait 16 °C. La mesure est historique, car elle est la première à avoir été effectuée dans la capitale avec un thermomètre. Quelle sera la température, le 25 mai 2058, dans la même rue ? Aucun météorologue, ou climatologue, n’est, bien sûr, en mesure de le dire. Ce qui est certain, c’est que le climat de la métropole est aujourd’hui plus chaud qu’hier, et bien moins que demain. Selon les projections présentées vendredi 8 mai par Météo-France, le réchauffement pourrait atteindre + 4 °C en hiver et + 5 °C en été, à l’horizon 2071-2100.
Pour analyser cette évolution sur le long terme, l’établissement public s’appuie sur une série continue d’observations recueillies, depuis 1872, par la station météorologique de Paris-Montsouris, qui relève températures, pression atmosphérique, ensoleillement, précipitations, humidité, vent… En quelque sorte, la « mémoire » du climat parisien.
Il apparaît qu’au cours du siècle écoulé les températures annuelles se sont inscrites en nette hausse (+ 1,4 % pour les minimales), avec une accélération depuis la fin des années 1950 : environ + 0,3 °C par décennie, l’augmentation étant plus forte en été (+ 0,4 °C par décennie) qu’en automne ou en hiver (+ 0,2 à + 0,3 °C).
La courbe s’est encore accentuée depuis le début des années 1980. C’est ainsi que les cinq années les plus chaudes enregistrées depuis le début des relevés (dans l’ordre : 2011, 2014, 2015, 2017 et 2003) appartiennent toutes au XXIe siècle. Les trois printemps les plus doux ont été observés ces quinze dernières années, et les cinq étés les plus frais remontent tous à avant 1980. En revanche, il n’y a pas de signal clair en matière de précipitations, les automnes étant légèrement plus secs et les autres saisons un peu plus humides.
Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Pour le savoir, explique Raphaëlle Kounkou-Arnaud, responsable de l’équipe Etude et climatologie à Météo-France, les chercheurs font d’abord tourner des modèles climatiques globaux (d’une résolution de 50 kilomètres) alimentés par les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Ils les affinent ensuite avec un modèle régional (d’une résolution de 8 kilomètres), pertinent à l’échelle d’une grosse agglomération.
« Ilot de chaleur »
La conclusion est sans appel : « Sur la première moitié du XXIe siècle, les projections montrent une poursuite du réchauffement annuel jusqu’aux années 2050, quel que soit le scénario. » La hausse prévue pour l’Ile-de-France est de l’ordre de + 1 °C, qui s’ajoutera aux 12,4 °C de moyenne annuelle actuelle.
Pour la seconde moitié du siècle, en revanche, le pire n’est pas encore certain. Tout dépendra de la trajectoire des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si elles baissent fortement, le réchauffement sera maintenu autour de + 1 °C. Si elles sont stabilisées, il se rapprochera de + 2 °C. Mais si elles se poursuivent à leur rythme d’aujourd’hui, la surchauffe est inéluctable : les Franciliens doivent alors s’attendre à + 4 °C en moyenne à la fin du siècle, avec des hivers toujours plus doux et des étés toujours plus torrides.
Le choc thermique risque d’être rude. Le nombre annuel de jours très chauds (plus de 30 °C de température maximale) pourrait passer d’une dizaine actuellement à une fourchette de dix à quarante-cinq ; et le nombre de jours extrêmement chauds (plus de 35 °C) grimper jusqu’à douze par an. Les vagues de chaleur s’étendraient de vingt et un à quatre-vingt-quatorze jours, contre sept présentement, et seraient « beaucoup plus sévères ». Quant au nombre de jours de canicule, il s’établirait entre trois et vingt-six par an. Météo-France prévient même qu’un été caniculaire comme celui de 2003 – le plus chaud jamais mesuré à Paris avec une moyenne de 22,6 °C –, responsable de 70 000 morts en Europe, dont environ 15 000 en France, deviendrait… habituel.
Pour les précipitations annuelles, quel que soit le scénario considéré, les modèles prévoient « peu d’évolution ». Mais les pluies d’une intensité extrême, génératrices de crues, devraient être de 1,5 à 2 fois plus fréquentes qu’à la fin du siècle passé. Cela n’empêchera pas « un assèchement important des sols en toute saison », au détriment de la végétation et des cultures non irriguées.
Paris n’est évidemment pas la seule ville en alerte rouge. Mais la menace y est exacerbée en raison du phénomène de « l’îlot de chaleur urbain » : un microclimat créé par un tissu urbain très dense, qui se traduit par des températures nocturnes supérieures d’environ 2,5 °C à celles des zones rurales voisines (comme le Vexin ou la forêt de Fontainebleau), l’écart pouvant avoisiner 10 °C en période de canicule. « Cela ne veut pas dire qu’il va faire tout le temps plus chaud, souligne Raphaëlle Kounkou-Arnaud. Il y aura encore des épisodes de froid, auxquels nous serons d’autant plus vulnérables que nous n’y serons plus habitués. »
Sol poreux Que faire ?
« Nous avons toutes les données en main pour nous préparer et faire en sorte que Paris soit résistant au changement climatique. Il faut agir au triple niveau des citoyens, des espaces publics et des bâtiments », répond Anne Girault, directrice de l’Agence parisienne du climat, qui accompagne la ville dans ce domaine. Et de citer trois initiatives : le lancement, en juillet, d’une application mobile informant les habitants des « espaces de fraîcheur » (musées, jardins, berges de Seine…) les plus proches en cas de canicule ; l’aménagement expérimental d’une place publique à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) pour réduire l’îlot de chaleur, avec un sol poreux et des plantations d’arbres ; ou encore la sensibilisation des professionnels du bâtiment à l’importance d’une isolation thermique non seulement contre le froid, mais aussi contre le chaud.
A plus court terme, Météo-France annonce, dans ses prévisions pour juin, juillet et août, un été plus chaud et plus sec que la normale dans le sud-est de l’Europe et le Bassin méditerranéen, mais des températures proches de l’accoutumée sur la façade atlantique. Un relatif répit avant la fournaise.