Issue du mouvement zéro déchet, l'association inaugure la première édition de son festival ce week-end à Paris. A la veille de l’interdiction des sacs plastique de caisse à usage unique, parler “poubelles” n'a jamais été aussi pertinent.
Connaissez-vous le « Zero waste » ? Apparu en Californie dans les années 1980, ce mouvement fleurit aujourd’hui à travers le monde. Ses adeptes ? Des citoyens, engagés sur la voie du « zéro déchet » et « zéro gaspi », armés de lombricomposteurs, de sacs en tissu, et refusant l’hyperconsommation et le suremballé. Mais aussi des entrepreneurs et des collectivités, comme San Francisco, ville pionnière qui recycle ses déchets à 80 %, ou la province italienne de Trévise.
En France aussi, le « zero waste » a la cote et a même droit à son premier festival, au Cabaret Sauvage, à la Villette, du 30 juin au 2 juillet, avec rencontres (Béa Johnson, auteure de Zéro déchet, Cyril Dion, réalisateur de Demain, Philippe Bihouix, auteur de L’Age des Low Techs…), ateliers de réparation de portables ou de fabrication de lessives et cosmétiques maison, et visite d’un « appartement témoin » zero waste. Preuve que l’aspiration au minimalisme résonne de plus en plus avec l’époque, qu’il s’agisse de faire des économies, d’agir pour l’environnement et/ou de reprendre la maîtrise sur son mode de vie. Explications avec Flore Berlingen, directrice de l’association Zero Waste France, organisatrice du festival.
Qu’est-ce que le mouvement Zero Waste ?
Ce sont des personnes qui s’engagent dans une démarche de zéro déchet / zéro gaspillage, que ce soit à titre individuel ou collectif. En France, ce mouvement, qui est issu du Centre national d’information indépendante sur les déchets (le Cniid), a été rebaptisé Zero Waste en 2014. A la fois parce que c’est un nom plus facile à retenir mais surtout parce que le terme anglais a deux significations : déchet et gaspillage. Et ces deux dimensions sont indissociables.
Il y a trois types d’acteurs : les individus qui choisissent des modes de vie zéro déchet ; les collectivités qui initient des politiques zéro déchet ; et les entrepreneurs qui créent des alternatives de consommation et de nouveaux services. Il y a par exemple un essor incroyable de la vente en vrac dans toute la France, ainsi que des services de réparation, de location de matériel ou de reconditionnement. Nous les accompagnons face aux questions juridiques et afin qu’ils mutualisent leurs expériences.
“Un public beaucoup plus diversifié qu'on pourrait le penser”
Quelle est l’ampleur de ce mouvement en France ?
Il y a encore deux ans, il n’y avait quasiment rien en dehors des cercles de militants écolos convaincus. Aujourd’hui, les initiatives foisonnent. Dans le cas des citoyens, il y a eu un « phénomène » Bea Johnson, auteure du best-seller Zero déchet (100 000 exemplaires vendus en France !) et du blog ZeroWasteHome. Des dizaines de milliers de gens se sont fixé un défi « zéro déchet », en essayant de mettre en oeuvre ses conseils.
On compte une bonne vingtaine de bloggers francophones « zéro déchet » et plus d’une centaine de collectifs qui échangent leurs expériences, leurs pratiques sur les réseaux sociaux. Le phénomène touche aujourd’hui un public beaucoup plus diversifié qu’on pourrait le penser, et pas uniquement les milieux favorisés, consommateurs habituels de bio.
Autre caractéristique notable, il s’agit d’un public très féminin, sans doute parce que les thématiques ayant trait à la sphère domestique sont encore très - trop ! - souvent considérées comme « féminines ». Ce qui change quand on passe aux collectivités ou aux entrepreneurs…
Parler « poubelles » n’est, a priori, pas très attractif. Comment expliquez-vous cet engouement ?
Les gens qui se lancent dans le zéro déchet ne le font pas forcément à partir de motivations environnementales, mais très souvent pour des raisons financières - ils se rendent compte qu’à la fin du mois, çà leur a permis d’économiser 100 à 150 euros. Il y a aussi un aspect ludique, certains voient l’objectif du zero waste comme un jeu, un défi.
D’autres encore le font par bon sens, tout simplement. Ils ont fini par être dégoûtés du gaspillage, et s’inscrivent dans l’inspiration du minimalisme - plus on s’allège, plus on simplifie son quotidien et son équipement, mieux on vit.
“Echapper au sentiment d'impuissance”
Tout cela se croise également avec la recherche d’un mode de consommation plus sain, dans la même veine que la fabrication-maison de produits d’entretien ou cosmétiques : parfois pour éviter les déchets mais surtout pour maîtriser l’accumulation de produits chimiques sur soi et chez soi. Et puis, face à la crise climatique, c’est une façon d’échapper au sentiment d’impuissance qui nous paralyse si souvent, car le zero waste offre une façon concrète d’agir, et d’évaluer l’impact de ses actes. On a tous une poubelle chez soi, donc on a une marge de manœuvre individuelle (et collective). Chaque petit geste est directement visible sur la quantité de déchets produits, les pollutions évitées, les ressources qu’on évite de consommer.
A quoi ressemble une vie « zéro déchet »?
C’est un mode de vie qui tend à diminuer le nombre de déchets, un quotidien où l’on se débarrasse des réflexes de l’hyperconsommation, sachant que le meilleur déchet est celui qui n’est pas produit. On ne vise pas forcément le zéro, il s’agit plus d’une direction que d’un but en soi, et c’est facile ! On réduit sa quantité de déchets, avec une poubelle tous les trois ou six mois, au lieu de plusieurs poubelles par semaine. Les actions « incontournables » consistent à composter ses déchets organiques, qu’on vive en maison individuelle ou en appartement - les derniers modèles de lombricomposteur sont sans odeur et sans fuite ! -, mais aussi à faire le maximum de ses achats en vrac, en se tournant vers les boutiques de vrac, en allant au marché et en refusant tout sac plastique ou papier.
Viennent ensuite d’autres choix, comme celui de fabriquer soi-même ses cosmétiques ou ses produits d’entretien. On utilise quelques produits de base, à partir desquels on fabrique ce dont on a besoin. Du coup, on réduit les budgets, et on évite beaucoup d’emballages.
“Louer, emprunter, échanger plutôt que d'acheter”
Quant aux vêtements, on choisit d’avoir recours en priorité à l’occasion plutôt qu’au neuf. On privilégie la récup, les vide-dressings, on essaye de réparer - la réparation, ce n’est pas que pour l’électro-ménager, même si on a perdu l’habitude de le faire pour les vêtements… Même logique pour les objets : on loue, on emprunte, on échange, plutôt que de s’équiper en pierrades, barbecues, appareils à raclette ou perceuses… Des dizaines de plateformes de location entre particuliers permettent aujourd’hui de trouver tout ce dont on a besoin, généralement à proximité de chez soi, en tout cas en ville.
Cela dit, quand on pense recyclage et économie circulaire, on pense plus à l’Europe du Nord ou San Francisco qu’à la France...
Mais c’est très trompeur : les pays du nord ont certes de bons tons de recyclage, mais en termes de quantités absolues de déchets produits, ils sont plutôt au dessus de nous ! Le Danemark, qui a la réputation d’être un pays exemplaire en termes environnementaux, est le pays européen qui incinère le plus grand taux de déchets. Hormis la région des Flandres, vraiment en pointe sur le sujet, les meilleurs exemples se trouvent en Italie. Dans des petites villes comme Capannori, ou des collectivités bien plus importantes telle la province de Trévise, qui compte 550 000 habitants et enregistre aujourd’hui les meilleures performances : 53 kilos d’ordures ménagères par an et par habitant, alors que nous en sommes encore à 350 kilos à Paris.
Quant à San Francisco, ils ont effectivement de très bons taux de tri (80% de déchets recyclés) par rapport au reste des Etats-Unis où, rappelons-le, la quantité de déchets produits est deux fois supérieure à l’Europe... Ils ont atteint une excellence rarement égalée en termes de compostage à grande échelle, avec des mélanges de compost «sur mesure» pour les agriculteurs de la plaine californienne. Mais ils ne sont pas aussi avancés que certaines collectivités en Europe pour la réduction des déchets à la source.
“Notre marge de manœuvre est considérable”
Très souvent, les élus français avec lesquels nous discutons se focalisent sur le zéro et nous disent que c’est un objectif irréaliste, que les gens ne sont pas prêts à modifier leurs comportements. Mais nous observons l’inverse. Et surtout, notre marge de manœuvre est considérable, il est possible d’aller très loin comme le prouve l’exemple de Trévise, qui n’a d’ailleurs pas l’intention de s’arrêter là, puisque leur plan d’action prévoit de descendre à 10 kilos annuels. Si l’on arrivait au niveau de Trévise, cela changerait complètement le paysage français, on s’économiserait des taxes et une quantité de pollution extraordinaire.
La France compte 250 décharges, 110 incinérateurs. Et encore il ne s’agit que des décharges d’ordures individuelles. Mais en dehors de quelques exemples français, comme la ville de Roubaix, les collectivités avancent encore très lentement, contrairement à ce que nous observons chez les citoyens et les entrepreneurs, où l’offre et la demande de modes de consommation alternatifs se nourrissent l’une l’autre.
Et vous-même, pourquoi vous êtes-vous engagée en faveur de la vie zéro déchets ?
Au départ, par intérêt pour les thématiques environnementales. Puis j’ai découvert une problématique à la fois très précise, voire technique, ET extrêmement vaste, qui croise des aspects politiques, économiques, sociaux… Le zéro déchet est indissociable du zéro gaspillage, et c’est un enjeu bien plus large.
Car derrière chaque déchet qu’on met dans notre poubelle, il y a une quantité énorme de ressources - eau, énergie, matières premières...- qui ont été consommées dans les processus de production, sans parler de la pollution de notre environnement et des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi nous travaillons de plus en plus en amont. Dans les faits, l’essentiel de nos déchets n’est pas retraité. Une tonne de déchets incinérés produit 350 kilos de mâchefer, 50 kilos de déchets hautement toxiques, et des dioxines qui s’échappent dans l’atmosphère. Une poubelle qui part en incinérateur émet du CO2, et si elle est enfouie en décharge, elle émet du méthane, un gaz encore plus puissant que le CO2. Le meilleur déchet est celui qui n’est pas produit : agir à la source, faire durer nos biens est bien plus pertinent.
Et vous avez atteint le zéro déchet ?
J’ai un lombricomposteur chez moi, j’achète mes produits en vrac au marché, je vais extrêmement rarement au supermarché. Mais non, je ne pèse pas ma poubelle, et je ne cherche pas le zéro absolu !
A voir Festival Zero Waste, au Cabaret Sauvage, La Villette, Paris, du 30 juin au 2 juillet.
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