Proposer une alternative écologique et locale à l’agriculture intensive, c’est le combat de Fermes d’avenir. Créé par Maxime de Rostolan, néorural militant, ce réseau de microfermes vertueuses revitalise les campagnes.
Sous son épais pull-over, le tee-shirt affiche la couleur. Un poing tendu brandissant un épi de blé, et deux mots qui claquent comme un slogan : « Farmer Power ». C'est un révolutionnaire des champs qui nous accueille en ce jour frisquet de novembre à la ferme de la Bourdaisière, dans le Val de Loire.
A 35 ans, Maxime de Rostolan mène depuis quatre années un combat au long cours : rendre le monde plus bio en semant les graines du changement dans les campagnes. Utopiste les pieds dans la terre, ce néorural, parisien de naissance et ingénieur chimiste de formation, est le chef d'orchestre du mouvement Fermes d'avenir. Son défi : prouver in situ que l'agro-écologie est plus rentable que l'agriculture conventionnelle. Et développer un modèle de microfermes, déclinable rapidement à grande échelle, comme une alternative efficace au système dominant, intensif et énergivore, qui tue à petit feu le monde paysan.
« Le modèle actuel est à bout de souffle, synthétise le trentenaire. En cinquante ans, on est passé de 10 % à 2 % d'agriculteurs en France, on a perdu 1,5 million de fermes, et entre un tiers et la moitié de la matière organique de nos sols. En 1940, avec une calorie fossile, on produisait 2,4 calories alimentaires ; aujourd'hui, il faut 7 à 10 calories fossiles pour une calorie alimentaire. Il est plus que nécessaire d'inventer le modèle de demain, qui doit polluer moins, employer moins de ressources et plus de gens. » Ce constat d'urgence et l'envie de faire bouger les choses l'ont amené à imaginer cette ferme-laboratoire sur une parcelle de 1,5 hectare de terre sableuse, où, depuis 2012, maraîchers bio et spécialistes de la permaculture (un mode d'aménagement écologique du territoire, visant à concevoir des systèmes stables et autosuffisants) plantent, bêchent et expérimentent, pour enraciner un écosystème agricole vertueux. « Quand nous sommes arrivés, c'était une prairie fauchée deux fois par an qui servait de parking. Nous nous sommes dit : la grande distribution s'amuse à transformer des fermes en parkings, nous allons faire le contraire ! »
Quand un dandy excentrique se fait chantre de la biodiversité
Au-delà du symbole, la ferme de la Bourdaisière est née de la rencontre de deux hommes, Maxime, le militant, et Louis-Albert de Broglie, aussi surnommé le Prince jardinier, propriétaire du domaine de la Bourdaisière, à Montlouis-sur-Loire. Dandy excentrique, ce chantre de la biodiversité veille depuis vingt ans sur les 650 variétés de son conservatoire de la tomate. Il préside aussi à la maison Deyrolle, spécialiste de la taxidermie et éditeur de planches pédagogiques. Chez Deyrolle, où il a été embauché pour éditer une collection de supports éducatifs sur le développement durable, Maxime de Rostolan a le déclic en découvrant le biomimétisme et la permaculture. « L'idée du biomimétisme est de s'inspirer de l'intelligence de la nature et des écosystèmes. Et la permaculture est l'application de ce principe à l'agriculture, nous instruit-il. La lecture du livre Biomimétisme, de Janine Benyus, a été pour moi le révélateur. Elle y disait : "si on est convaincu qu'il faut vraiment changer le monde, alors la première brique doit être l'agriculture". J'ai pris conscience que de problème l'agriculture pouvait devenir solution : c'est un des meilleurs moyens de lutte contre le dérèglement climatique, de dépolluer l'eau, de recréer de la biodiversité, de produire une nourriture plus saine. »
Maxime le citadin
Ce modèle vertueux, il part l'observer à la ferme normande du Bec Hellouin. Un lieu pilote en matière de permaculture, qu'observe de près l'Inra depuis 2011 pour en chiffrer le rendement. « Sur un hectare, ils dégagent un chiffre d'affaires de 59 000 euros par an, ce qui bat tous les standards de l'agriculture conventionnelle », s'enthousiasme l'entrepreneur des champs. Comment développer ce modèle à grande échelle « et transformer la Beauce en Bec Hellouin » ? « Je me suis dit que ce serait bien d'étudier scientifiquement une ferme depuis le début, les investissements, le temps de travail, les freins et les contraintes. Pour avoir de vrais arguments à opposer aux partisans du modèle dominant qui estiment que ce n'est pas rentable. » Maxime le citadin, qui n'avait « jamais planté une tomate », passe un brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole, avant de lancer son projet à la Bourdaisière, épaulé par deux spécialistes de la permaculture.
Quatre ans après les premiers coups de pioche, et malgré l'hiver tout proche qui met certaines espèces au repos, le résultat est là : carottes, poireaux, choux, topinambours ou cardons ont remplacé les herbes folles de la prairie. Et Maxime est fier de plonger la main dans la terre pour nous montrer sa vitalité retrouvée. « Il y a des vers de terre partout, ils remontent les nutriments depuis la roche mère et minéralisent le sol, l'aèrent aussi. » Les micro-champignons qui poussent près des planches de carottes lui donnent aussi le sourire : « sur une ferme classique, on les ferait disparaître à coups de fongicide. Nous sommes convaincus, et la forêt nous le prouve, qu'ils sont bénéfiques pour le sol ». La petite mare dans le jardin témoigne aussi du regain de la biodiversité : larves de libellules, de tritons, plein de grenouilles qui, la nuit, dégomment les limaces. Et hérons qui viennent s'y tremper les pattes.
“Chaque semaine, nous recevons mille mails de personnes qui cherchent des informations sur l’agriculture bio”
Déjà capable de nourrir quarante-cinq familles, la production maraîchère n'est pas encore à la hauteur de l'objectif fixé à cinq ans — 130 kilos de légumes par jour et 100 000 euros de chiffre d'affaires annuel. Mais l'année 2016 a été calamiteuse côté météo et 30 à 50 % des récoltes ont été perdues. Pas de quoi décourager Maxime de Rostolan, convaincu plutôt de redoubler d'efforts pour réussir à imposer ce modèle agricole vertueux. En accompagnant aussi tous ceux qui veulent être les acteurs du changement.
« Chaque semaine, nous recevons mille mails de personnes qui veulent s'installer, faire un stage ou cherchent des informations sur l'agriculture bio. Parmi eux, il y a des gens qui ont fait des études supérieures et veulent se tourner vers un métier qui a du sens. » Une envie de « contact avec la terre, un retour aux valeurs simples » dont témoigne également Rachel Serin, jeune maraîchère fraîchement recrutée à la ferme de la Bourdaisière après plusieurs années passées sur les chantiers dans le BTP.
Pour aider les aspirants néoruraux, l'association propose des programmes de formation ou la mise à disposition d'une boîte à outils technique en open source (www.fermesdavenir.org) . Elle organise également un concours, doté d'une aide financière à l'installation. Fermes d'avenir veut aussi être un réseau (déjà soixante-dix fermes référencées sur son site), pour « agréger ceux qui pratiquent une agriculture de régénération », mutualiser des services (outils de planification, de facturation) et faciliter l'accès à des financements participatifs. L'été prochain, un « Fermes d'avenir tour » de trois mois emmènera des journalistes et des étudiants en école d'agronomie découvrir sur le terrain le travail de quatre-vingt-dix fermiers. « On aimerait que ces élèves puissent expliquer à leurs profs que, sans tracteur et sans produits phytosanitaires, ça marche aussi très bien ! »
Tous les alliés sont les bienvenus
Dans son combat, Maxime estime que tous les alliés sont les bienvenus. Y compris quand ils viennent de la grande distribution ou de chez Metro. Aider Fleury Michon à créer une ferme pour produire les légumes de son couscous ? Il fixe ses conditions mais accepte, au risque de voir les puristes tordre le nez. « Certains militants nous passeraient bien au goudron et aux plumes parce qu'on ose parler à ces gens-là. Je maintiens que, si on veut vraiment changer le monde, le basculement doit se faire là où il y a de la masse. Or 70 % des fruits et légumes se vendent en grande surface. Il faut absolument les aider à se fournir en bio local. Soit on y arrive avec eux, soit on est morts. » Pragmatique, il laboure encore le terrain politique, en « lobbyiste-citoyen », et veut croire à la prise de conscience collective. « Le succès d'un film comme Demain l'atteste, il y a un terreau qui est en train de se constituer, un ferment. J'ai bon espoir que ça prenne. » Sans pétrole mais avec sous le pied un gisement d'énergie et d'idées qui semble infiniment renouvelable : ainsi carbure le révolutionnaire des champs.
L'EMPLOI EST DANS LE PRÉ
Créer cinquante mille à cent mille fermes pour parvenir à nourrir 30 à 60 % de la population en bio local d'ici vingt ans, c'est le défi lancé par Fermes d'avenir. Avec à la clé la création de deux cent mille emplois. « En France, il y a 4 millions d'euros de fruits et légumes importés par an et cinq millions de chômeurs , selon Maxime de Rostolan. Le modèle que nous proposons, moins mécanisé, emploie six fois plus de gens par unité de surface que l'agriculture chimique. Plutôt que d'avoir des chômeurs, créons des emplois qui font revivre les campagnes sinistrées. En permettant aux fermes du réseau Fermes d'avenir d'être éligibles aux emplois d'avenir. Ou d'y envoyer en service civique mille personnes par an pour participer au regain de la biodiversité ? »