samedi 9 juillet 2016

Ajouter des voies de circulation pour faire face à la congestion du trafic, c’est comme desserrer sa ceinture pour soigner l’obésité

Cette célèbre phrase de Lewis Mumford que l’on trouve régulièrement sur Internet provient probablement d’un article du New Yorker de 1955. En fait, il est probable que la phrase exacte ne soit pas exactement celle qui circule, même si son sens originel est proche.


C’est l’auteur du livre « Roads were not built for cars » (« Les routes n’ont pas été construites pour les voitures ») qui a déniché la phrase originale de Lewis Mumford, dans un article paru en 1955 dans le New Yorker et intitulé « The Sky Line ».

Voici la phrase en question :
Most of the fancy cures that the experts have offered for New York’s congestion are based on the innocent notion that the problem can be solved by increasing the capacity of the existing traffic routes, multiplying the number of ways of getting in and out of town, or providing more parking space for cars that should not have been lured into the city in the first place. Like the tailor’s remedy for obesity – letting out the seams of the trousers and loosening the belt – this does nothing to curb the greedy appetites that have caused the fat to accumulate.

C’est une analyse tout à fait exacte de la fausse solution, demandée par les automobilistes et très souvent proposée par les élus et les ingénieurs, qui consiste à créer de nouvelles voies de circulation pour résoudre les problèmes de congestion automobile.
C’est un peu l’application de la loi de l’offre et de la demande aux questions de mobilité: si les routes sont bouchonnées, c’est que la demande de routes (de la part des automobilistes) est supérieure à l’offre de routes (de la part des pouvoirs publics). Construisons donc plus de routes jusqu’à rassasier la demande de routes des automobilistes. Dit autrement, en construisant plus de routes, l’offre et la demande finiront par s’équilibrer.
Sauf que la loi de l’offre et de la demande s’adapte assez mal à la mobilité. Car, en construisant toujours plus de routes, le seul point d’équilibre que vous atteindrez, c’est une situation où il y aura des routes partout qui seront universellement bouchées.
L’effet est bien connu et peut se résumer comme suit: « si vous construisez, ils viendront ». En bref, les nouvelles routes encouragent les gens à conduire plus, provoquant ainsi l’étalement urbain qui fixera de nouveaux habitants toujours plus loin du centre des villes et toujours plus dépendants de l’automobile. Dit autrement, toute amélioration provisoire de la situation sur le front de la congestion automobile se paye par un surcroît de congestion à moyen-terme. Un article assez ancien de la revue Carbusters résumait cela en parlant de « cercle vicieux de l’automobile » :
1) On réalise une étude sur le trafic, les prévisions étant faites à partir des tendances et des habitudes des déplacements passés (elles-mêmes reposant sur la logique du “prévoir et “pourvoir”).
2) Ces prévisions montrent que, dans les 20 ans à venir, le réseau routier sera saturé.
3) On augmente la capacité routière en fonction des prévisions. Ces routes, par leur conception même sont capables de pourvoir au développement du trafic dans les 20 années à venir.
4) Les projets d’expansion du réseau routier incitent les villes à s’étendre puisque la réduction du temps de transport permet de se loger en banlieue à des prix plus abordables.
5) Le temps de déplacement en voiture se réduisant, la fréquentation des transports en commun baisse. Le développement tentaculaire de l’habitat ne permet plus d’avoir des transports en commun efficaces ou économiques. Au fur et à mesure que l’on a moins recours à eux, ces services se détériorent, d’où une plus grande utilisation des voitures particulières.
6) L’augmentation du trafic entraîne une congestion du système dans les deux ans qui suivent la fin de sa réalisation. Les experts tiennent des conférences et écrivent des articles dans des revues professionnelles pour se féliciter d’avoir su prévoir la nécessité d’accroître le réseau routier.
7) Les routes étant plus utilisées que prévue, une nouvelle étude s’impose. Bien évidemment, celle-ci parvient à la conclusion qu’avant 20 ans le réseau sera désespérément inadapté aux besoins de la population. D’où le besoin de nouveaux programmes d’extension.
8) Retour au n°1 (voir ci-dessus). La boucle est bouclée.
Cela fait maintenant plusieurs décennies que l’on se trouve dans ce système. On soigne l’obésité automobile en ajoutant de nouvelles voies de circulation qui augmentent l’obésité automobile.



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