mardi 23 août 2016

Quand l'école passe au vert

Mares, nichoirs et potagers ont germé dans les cours de récré pour sensibiliser les enfants à la biodiversité. Une approche du vivant encore marginale, qui révèle la difficile transition écologique de l'institution scolaire.


C'est une « mare pédagogique », dans la cour d'une petite école primaire du Tarn. Elle a été creusée il y a quelques années par un enseignant, épaulé par une poignée de parents d'élèves et d'employés municipaux. Très vite, les petites bêtes ont afflué, araignées d'eau, papillons, libellules, grenouilles, pour le plus grand bonheur des enfants : il est tout de même plus amusant d'étudier la diversité du vivant à quatre pattes dans la cour et les mains dans l'eau qu'en feuilletant en classe un manuel scolaire ! Certains savoirs sautent à la figure lorsqu'on a le nez dans les nénuphars. Le jour de l'inauguration de la mare, il y avait du beau monde pour féliciter le maître d'école entreprenant : des élus locaux, le conseiller général et même le député de la circonscription. Mais point de représentant de l'Education nationale. Quand l'enseignant a changé de poste, la mare a été rebouchée.

Les défis du réchauffement climatique
L'anecdote peut sembler dérisoire. Par ce petit bout de la lorgnette, on entrevoit pourtant une problématique autrement plus large sur l'éducation à l'environnement, qui interroge notre système éducatif tout entier : a-t-il fait sa transition écologique, un peu, beaucoup, passionnément ? A quel point les écoles, les collèges et les lycées de France ont-ils opéré leur mue, pour préparer les élèves aux défis d'un monde que ne connaissaient pas les générations précédentes, du réchauffement climatique à l'épuisement des ressources naturelles ? Curieusement, alors que (presque) plus personne ne nie l'urgence à agir, ces questions sont ­exclues des débats qui agitent le monde scolaire.

A en croire l'eurodéputée Michèle Rivasi, le chercheur Philippe Meirieu et les autres signataires du « Manifeste pour une éducation à la citoyenneté planétaire », elles ne préoccupent pas davantage les principaux protagonistes des conférences climatiques. « Depuis vingt ans, écrivent-ils, ils ne se penchent [...] que du bout des lèvres [sic] sur ce qui devrait pourtant constituer un levier fondamental du changement : une éducation intégrale et durable qui, au lieu de perpétuer les schémas de pensée qui nous condamnent à un développement insoutenable, formerait, à l'école et tout au long de la vie, des femmes et des hommes [...] attentifs à préserver leur résidence commune, la Terre. »


“Éduquer, ce n'est pas endoctriner.”

En retard d'une révolution, l'Education nationale ? Soyons justes : ce n'est pas parce que la rumeur de sa mue écologique n'arrive pas jusqu'à nos oreilles qu'elle n'a pas lieu. En réalité, il est loin le temps des « leçons de choses » où l'on étudiait les corneilles, les abeilles et les fougères sans ­jamais les relier à leurs écosystèmes. Les sciences de la vie et de la Terre observent désormais le vivant dans toute sa complexité. Le programme de géographie de 5e, en ­particulier, est largement consacré aux « ressources limitées » dont dispose l'humanité, ainsi qu'au « changement global, facteur majeur de vulnérabilité des territoires et des sociétés ».

Une nouvelle manière de penser le monde infuse peu à peu les salles de classe... « mais de façon encore timide et parcellaire, assure Philippe Meirieu. Les programmes du lycée, en particulier, ont peu changé depuis vingt ans ». On enseigne encore trop souvent les sciences économiques et sociales (SES) comme au siècle dernier, par le prisme des théories néoclassiques et keynésiennes, sans beaucoup questionner notre modèle de société. L'école craint-elle, en explorant les modèles alternatifs, d'être accusée de faire de la politique, d'imposer aux élèves une vision partisane ? Elle doit pourtant s'y aventurer franchement, insiste Meirieu. « D'autant qu'éduquer un sujet ce n'est pas l'endoctriner, c'est le rendre capable de comprendre les conséquences de ses choix. L'école ne doit pas asséner que le nucléaire est une énergie d'avenir ou au contraire militer pour les éoliennes, mais exposer les différentes alternatives qui s'offrent à nos sociétés. La responsabilité de l'enseignant, c'est la formation à la liberté. »


Du local au global
Au collège Les Pierres plantées, à Montalieu-Vercieu, Isère, ce sont les élèves qui, ce jour de juin 2016, ont la parole. La classe de 4e C expose les résultats de ses cogitations après plusieurs mois de travail dans le cadre du cours de technologie. Objectif : réduire les consommations d'énergie de l'établissement — qu'on imagine conséquentes, les bâtiments ne sont pas de première fraîcheur. Ampoules, vitrages, radiateurs, isolation dans les classes, les couloirs et les halls, tout a été examiné et le gaspillage, traqué à l'aide d'appareils de mesure. Les uns préconisent la création d'un sas d'entrée, les autres, l'installation de panneaux photovoltaïques... et la représentante du département prend des notes.

Oui, la collectivité territoriale assiste au cours : elle est partenaire du projet, qu'elle finance à hauteur de 5 000 euros. Il s'agit d'impliquer les élèves à travers un programme concret qui les concerne au premier chef — et vu le chahut ambiant, les surcroîts de motivation ne sont pas superflus... C'est la « pédagogie de projet », une méthode d'apprentissage très prisée par les stratèges de l'éducation à l'environnement : partir d'une problématique concrète, ancrée dans le quotidien des élèves, puis avancer en grands ronds concentriques dans les savoirs. Passer du local au global, en somme.

Et croiser les matières, comme le prônent les tenants de l'interdisciplinarité ? La réforme du collège, qui entre en vigueur en cette rentrée 2016 et instaure justement des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), propose entre autres thèmes de plancher sur « la transition écologique et le développement durable ». « Avec mes collègues de physique-chimie et de sciences de la vie et de la Terre, nous échangeons beaucoup pour mettre au point un projet commun », raconte la professeur d'histoire-géographie des Pierres plantées. Mais le principe fait débat. Il hérisse le ­sociologue Jean-Pierre Terrail, favorable à ce que les enjeux environnementaux soient « davantage intégrés aux enseignements au lieu de nourrir une démarche interdisciplinaire, fatalement vouée à l'échec tant que les élèves ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux ». Pas touche aux disciplines ? Gare aux ruades, le sujet est en France hautement polémique...


Le pouvoir pédagogique de l'araignée d'eau
Quoi qu'il en soit, l'éducation à l'environnement ne semble pas soluble dans le seul savoir livresque. Même la ­sénatrice Marie-Christine Blandin, membre du Conseil supérieur des programmes (l'instance chargée d'élaborer les nouveaux manuels de cette rentrée), l'affirme sans détour : « Si vous n'avez pas dans les cours des écoles primaires une petite mare pour observer les libellules ou un petit jardin pour étudier les légumes, vous n'avancerez pas beaucoup. » C'est l'idée qu'en contemplant une araignée d'eau dans son écosystème on prend mieux conscience de nos propres interactions avec notre milieu. Que l'observation de la nature suscite des questionnements concrets et profonds qui facilitent la compréhension des grands enjeux environnementaux. « L'approche sensible est au moins aussi importante que l'approche scientifique, confirme Roland Gérard, cofondateur du Réseau Ecole et Nature (lire encadré). Elle est d'autant plus fondamentale que les nouvelles générations vivent de moins en moins au contact de l'environnement naturel, des prairies et des bois. »

Et il en pense quoi, le ministère, de la transition écologique de l'école ? Il l'encourage, en témoigne la flopée de textes et de circulaires sur le sujet qu'il produit depuis les années... 1970. Mais cela n'aide pas forcément beaucoup. « S'il y a bien une loi que j'observe depuis quarante ans, commente Roland Gérard, c'est que l'éducation à l'environnement est un mouvement ascendant. Le changement vient toujours de la base, jamais de la Rue de Grenelle. Les enfants découvrent les produits bio à la cantine, en parlent à leurs parents qui s'y mettent peu à peu. Les cantines bio comme le tri sélectif et le compostage sont des pratiques pédagogiques qui se construisent sur le terrain, dans des partenariats entre un établissement, des associations et les collectivités territoriales. » Arnaud Defurne ne le contredira pas. Le proviseur des Pierres plantées, collège ordinaire à bien des égards, est particulièrement investi dans ce type d'actions. « Un exemple parmi d'autres : nous allons améliorer la chaîne qui permet aux élèves de trier les restes de leurs repas. ­Cela nécessite de rénover une partie de la cantine et donc que le département mette la main à la poche. L'impulsion écologique de l'équipe enseignante est déterminante, mais sans l'appui de la collectivité, pas grand-chose ne serait possible. »


Motiver les troupes
Encore faudrait-il que l'institution scolaire encourage vraiment ses ouailles les plus entreprenantes. « Vous n'avez pas idée du nombre d'enseignants qui font l'effort de monter des projets et sont freinés dans leur élan par mille obstacles administratifs. Personne ne viendra embêter ceux qui se contentent mollement de suivre le programme, mais les innovateurs, eux, doivent sans cesse rendre des comptes, c'est extrêmement démotivant ! » lance Philippe Meirieu. Pour le chercheur, ces derniers ont certes besoin de reconnaissance, mais tous manquent de formation, tout au long de leur carrière, pour intégrer les savoirs en évolution constante et mieux préparer les élèves à habiter autrement notre monde en mutation (« Un professeur qui débute aujourd'hui enseignera à des ­enfants nés après 2050 ; vous consulteriez un médecin de 60 ans qui ne s'est tenu au courant de rien depuis sa fac de médecine ? »)

Condition sine qua non pour que l'école fasse réellement sa transition écologique, le corps enseignant doit apprendre à collaborer avec les partenaires territoriaux... qui eux-mêmes ont une lourde responsabilité. Car, comme dit Roland Gérard, « c'est très bien d'enseigner en classe les vertus du développement durable et des circuits courts. Mais si une fois à la cantine, dont la collectivité a la charge, les élèves constatent que des quantités astronomiques de nourriture venue de l'autre bout de la planète sont jetées à la poubelle... L'éducation, c'est aussi montrer l'exemple. »

NATURALISTES EN HERBE
Ce matin-là, les enfants s'activent dans la serre de l'école, chacun sur son carré de potager. Tous prennent grand soin de leurs plants de tomates, haricots, maïs, courgettes, « c'est important, parce qu'après on va les manger » , explique une jeune maraîchère. Nous ne sommes pas dans le cadre de l'Education nationale - où il est défendu de consommer des aliments qui n'affichent pas de date de péremption ! Mais dans un tout petit établissement primaire hors contrat, niché dans un vieux château du Diois, au pied du Vercors. Et à l'école Caminando, on est très attaché à l'idée qu'on « apprend mieux quand il y a des enjeux ». Surtout, la nature y est le pivot de l'enseignement. « Autant dire qu'il ne s'agit pas seulement de faire entrer des bouts de vie dans l'école », explique la directrice-fondatrice Muriel Fifils. En sus du programme officiel, les dix-neuf élèves observent les oiseaux et les insectes (« à partir du moment où ils prennent du plaisir, le savoir rentre »), explorent la plage de galets qui longe la rivière en contrebas (« un support pédagogique formidable ! »). En outre, ils cultivent naturellement une perception « systémique » du monde : tout ne se réduit pas à soi-même puisque nos environnements constituent un univers solidaire. L'expérience semble si probante qu'on s'interroge : et si l'institution scolaire laissait fleurir ces lieux pédagogiques à l'intérieur de son cadre ?

CANTINES SCOLAIRES, LA FIN DES HARICOTS
Un enfant sur trois ne parvient pas à distinguer un poireau d'une courgette, d'une figue ou d'un artichaut. Et neuf sur dix sont plongés dans des abîmes de perplexité face à une... betterave (1) . Loin de nous l'idée d'en rejeter la faute sur l'école, qui a déjà beaucoup à faire avec les multiples missions qui lui sont assignées. Mais la restauration scolaire (à la charge des collectivités territoriales), alors ? N'est-il pas dans ses fonctions, outre de remplir les ventres de ses jeunes hôtes, de les éduquer au goût et à la variété des produits alimentaires ? Pour cela, il faut redonner de l'autonomie au personnel des cantines, trop souvent transformé en ouvre-boîte réchauffeur de plats de l'agroalimentaire. Et qui bien souvent rêve d'enfin... cuisiner. C'était d'ailleurs l'esprit d'un projet de loi, adopté à l'unanimité en janvier dernier par les députés : que les restaurants collectifs de France proposent d'ici à 2020 40 % de produits locaux, de saison et de qualité, dont 20 % de produits bio (qui ne pèsent aujourd'hui que... 3 %). Hélas, les sénateurs ont dit niet. Mais les porteurs du projet n'ont pas dit leur dernier mot...

RÉSEAU D'ÉCOLES ÉCOLOS
A-t-on idée du nombre phénoménal d'associations éparpillées sur notre territoire qui œuvrent pour la transition écologique ? « Ce sont souvent de toutes petites structures locales, tout à fait ravies d'accompagner des enseignants dans la constitution d'un "coin nature", avec nichoirs, abris à chauve-souris, mare pédagogique, ou tout autre projet lié à l'éducation à l'environnement », assure Roland Gérard. Le codirecteur du Réseau Ecole et Nature sait de quoi il parle : créé en 1983 par deux enseignants, cet espace de rencontre et d'échanges qui a aujourd'hui tissé sa toile sur la France entière n'a de cesse de mettre en relation le monde de l'éducation avec les partenaires associatifs et les collectivités territoriales, voire des fondations et des entreprises.

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