lundi 7 novembre 2016

Les raisons de créer une monnaie locale dans le Valenciennois

Joackim Lebrun, directeur adjoint d’Acteurs pour une économie solidaire (APES), anime des conférences sur la monnaie locale. Après Saint-Amand-les-Eaux et Valenciennes, il sera à Condé-sur-l’Escaut, le 7 décembre. Interview.


Qu’est-ce qu’une monnaie locale ?
« Il existe plus de 5 000 monnaies sociales et complémentaires dans le monde. Elles sont complémentaires, car elles n’ont pas pour objectif de remplacer nos monnaies conventionnelles (comme l’euro) mais de les compléter, facilitant les échanges en mariant besoins non satisfaits et ressources non utilisées, ou en permettant de flécher des flux monétaires vers des territoires et des acteurs économiques qui en ont besoin (…) La question est de savoir quel est le projet commun ? Quelle économie locale souhaitons-nous pour notre territoire ? »

À quoi sert-elle ?
« Une monnaie locale circule dans un quartier, une ville, un ensemble de communes ou même une région, et dans un réseau d’acteurs choisis (citoyens, commerces et services de proximité, artisans, entreprises locales, acteurs de l’économie sociale et solidaire, collectivités publiques…). Les monnaies locales ont en général pour objectif de favoriser la consommation responsable, éthique et écologique, recréer du lien social et de la solidarité, par une action citoyenne et démocratique (…) » 

Quelles conditions réunir pour créer une monnaie locale ?
« L’une des clés de réussite d’un projet de monnaie locale est le soutien simultané à la production et à la consommation. Par exemple, Banco Palmas supporte le développement des entrepreneurs locaux grâce à des microcrédits en Reals, tout en octroyant aux habitants du quartier des microcrédits à la consommation en monnaie locale. Le succès dépendra aussi de la qualité de l’offre du réseau de prestataires acceptant les paiements en monnaie locale : elle doit être attrayante, compétitive et diversifiée.
Quels sont les prestataires qui manquent sur notre territoire ? Un poissonnier ? Un magasin de prêt-à-porter ? Une épicerie bio ? Comment les faire venir ? Un projet doit être complété par un dispositif d’aides émanant de la collectivité publique. En France, le paiement en monnaies locales de services municipaux (la piscine, la bibliothèque, les transports…) est maintenant possible. »

Y a-t-il des exemples de monnaie locale viable ?
« L’Allemagne est en tête avec son programme REGIO, qui regroupe environ 30 monnaies locales opérationnelles, dont le Chiemgauer lancé en 2003. Le réseau compte 4 500 membres (1 % de la population de la région) : 702 entreprises, 517 associations, 2 230 consommateurs ; 550 000 Chiemgauer sont en circulation, qui génèrent un chiffre d’affaires 100 % local de plus de 6 millions d’euros. Le Chiemgauer en Allemagne a permis aux magasins labellisés d’augmenter de 10 % leur chiffre d’affaires et de créer des emplois. »

« Demain », tout a commencé là
Il le conseille à tout le monde : « Voyez le film, mais surtout, lisez le livre », nous a répété Jean-Claude Brunebarde. Ce militant écologiste de Flines-lès-Mortagne a vu Demain « trois fois, à Lille, Saint-Amand et Valenciennes ». Il est depuis convaincu de la nécessité d’une monnaie locale : « Elle favorise un certain type de commerces, de produits : circuits courts, bio, développement durable. La monnaie locale ne va pas dans un paradis fiscal, elle ne génère pas de dividendes, elle fait plus de développement économique. Et elle ne concurrence pas l’euro. » Depuis cet été, il organise des conférences, au cours desquelles Joackim Lebrun, de l’APES (Acteurs pour une économie solidaire) Hauts-de-France, explique la façon dont une monnaie locale est créée (lire son interview). Pour l’instant, ça n’a pas encore pris. « Je continue les conférences, persiste Jean-Claude Brunebarbe, j’attends que les commerçants accrochent. » C’est qu’il faut que tout le monde soit d’accord, pour que ça fonctionne : « Il faut les consommacteurs, les militants, le collège des commerçants et artisans, les élus et les institutionnels. » Et de la patience, donc…

Au Brésil, « enrayer la fuite de l’argent »
« Parmi les monnaies locales les plus connues, nous apprend Joackim Lebrun, on compte le Palmas au Brésil. Lancée en 2002 dans le Conjunto Palmeiras, cette monnaie locale a aujourd’hui parfaitement rempli son objectif d’enrayer la fuite de l’argent en dehors du territoire, puisque 93 % des personnes déclarent réaliser des achats à l’intérieur du quartier contre 20 % en 1997. La monnaie locale constitue en cela un outil d’éducation simple pour inciter les habitants d’un territoire à acheter local, et contribuer ainsi au développement de l’économie pour leur propre bénéfice. »

Porte du Hainaut : « Ça va se décider ! »
Député-maire PCF de Saint-Amand-les-Eaux et co-auteur, avec son frère Éric, sénateur PCF, du livre Sans Domicile Fisc, qui fustige les dérives du capitalisme contemporain, est pour la création d’une monnaie locale. « Je suis avec intérêt ce projet, nous a-t-il expliqué, un projet que j’approuve ! Pour l’instant, personne n’a été désigné à l’agglo… mais ça va se décider ! » Pour les commerçants, il est « trop tôt pour en parler » Monique Guilbert et Marc Michel, représentants des commerçants et artisans du Valenciennois, ont assisté à une conférence de Joackim Lebrun et Jean-Claude Brunebarbe. « On demande encore à voir, nous a dit Monique Guilbert. C’est nouveau pour nous, il va falloir plusieurs réunions, des exemples concrets. Pour l’instant, la plupart des commerçants ne sont pas trop intéressés. Ce n’est pas une priorité, avec la période des fêtes, nous avons autre chose à penser. Nous avons aussi le projet du commerce connecté, le problème des cellules commerciales vacantes dans le centre-ville, les élections à la chambre des métiers et du commerce. » Même scepticisme auprès de Marc Michel : « Il est trop tôt pour en parler. J’ai assisté à la conférence, c’est quelque chose qui me semble important, qu’on doit étudier. Nous manquons de connaissance, nos adhérents sont dubitatifs. La plupart des gens ne savent même pas ce que c’est ! Et nous avons d’autres sujets importants, il ne faut pas courir plusieurs lièvres à la fois. » 

Les exemples français
« Les initiatives sont nombreuses et la France est en marche pour devenir l’un des pays les plus dynamiques du mouvement, indique Joackim Lebrun. Depuis 2010, les monnaies locales s’y multiplient : on compte plus de 70 projets en cours ou en préparation. L’Abeille à Villeneuve-sur-Lot, l’Héol à Brest, l’Eusko au Pays basque, la Roue dans le Vaucluse, la Mesure à Roman, le SOL violette à Toulouse, le BOU-SOL à Boulogne, la Pêche à Montreuil, la Luciole en Ardèche… »

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