Le paysan-philosophe agroécologiste a rencontré nos lecteurs pour leur confier sa vision d’un monde et d’une humanité en souffrance. Mais aussi le chemin à suivre sans tarder pour « être heureux dans cette vie, dans la jubilation offerte par la nature ». Entre bienveillance et sobriété heureuse. En toute lucidité.
– Françoise. Quel est votre message à la jeunesse souvent désorientée par la brutalité du monde moderne ?
« Beaucoup de jeunes ne savent pas quelle sera la suite de l’histoire. Ils sont nombreux à douter dans un contexte général très compliqué puisque le marasme est général, sauf pour les mieux nantis. S’ils ne se sentent pas le rouage d’un système devenu fou, je leur dis de vivre ce qu’ils ont à vivre. Dans ma pratique agroécologique, je vois beaucoup de jeunes courageux revenir à la terre, certains ayant même quitté des études en grandes écoles de commerce. La preuve que c’est possible ! »
– François. Internet est-il un progrès pour la société ?
« Internet c’est pas net du tout. Je n’ai pas très confiance. Notre civilisation techno-scientifique marchande invente des outils qui ne nous libèrent pas et qui prennent les fonctions du cerveau lui-même. Les écrans prolifèrent et dans un train bondé c’est parfois le silence absolu, tout le monde est plongé dans les écrans. Je pense que la fonction humaine et sociale est fortement détériorée par la domination des outils, on est hors du champ réel, la réalité peut devenir abstraite !
Les outils numériques sont censés convivialiser mais on confond communication et relation. Où sont les liens sociaux avec les réseaux sociaux ? Moi je ne suis pas sur Facebook personnellement, je suis sur Terre. »
– Pierre. Comment réagissez-vous face à la crise économique qui semble s’aggraver ?
« L’argent prédomine dans l’organisation de la société. Que se passe-t-il quand les 1 500 plus grands milliardaires de la planète confisquent les ressources de la majorité de l’humanité ? Doit-on permettre que quelqu’un par exemple achète une forêt ? Les biens communs ne devraient pas être transmissibles ni confiscables. Nous avons affaire à une prédation légalisée. »
– François. Êtes-vous pour ou contre le revenu minimum pour tous ?
« Plutôt contre car il faudrait que nous puissions avoir les moyens de le financer. Si on ne peut pas assumer cette logique, je préfère qu’on la modifie. Chaque individu doit être acteur de l’économie et d’abord de la sienne. Dans mon espace je vais créer moi-même ma sécurité personnelle, pour avoir du pouvoir sur mon propre destin. Je valorise ainsi mes capacités et je suis absolument autonome, ce qui n’empêche pas la solidarité bien sûr.
Car c’est un leurre de penser que la France va échapper à l’effondrement (référence à la Grèce). On fabrique des choses à vendre mais il y a de moins en moins de gens capables de les acheter. C’est absurde. »
– Françoise. Quel est votre message à la jeunesse souvent désorientée par la brutalité du monde moderne ?
« Beaucoup de jeunes ne savent pas quelle sera la suite de l’histoire. Ils sont nombreux à douter dans un contexte général très compliqué puisque le marasme est général, sauf pour les mieux nantis. S’ils ne se sentent pas le rouage d’un système devenu fou, je leur dis de vivre ce qu’ils ont à vivre. Dans ma pratique agroécologique, je vois beaucoup de jeunes courageux revenir à la terre, certains ayant même quitté des études en grandes écoles de commerce. La preuve que c’est possible ! »
– François. Internet est-il un progrès pour la société ?
« Internet c’est pas net du tout. Je n’ai pas très confiance. Notre civilisation techno-scientifique marchande invente des outils qui ne nous libèrent pas et qui prennent les fonctions du cerveau lui-même. Les écrans prolifèrent et dans un train bondé c’est parfois le silence absolu, tout le monde est plongé dans les écrans. Je pense que la fonction humaine et sociale est fortement détériorée par la domination des outils, on est hors du champ réel, la réalité peut devenir abstraite !
Les outils numériques sont censés convivialiser mais on confond communication et relation. Où sont les liens sociaux avec les réseaux sociaux ? Moi je ne suis pas sur Facebook personnellement, je suis sur Terre. »
– Gersende. J’ai trois enfants et je me sens déprimée dans cet environnement triste et macabre. J’essaie de chasser Nestlé de ma maison mais des gens travaillent pour cette multinationale dont le patron voudrait que l’eau soit payante partout dans le monde. Dois-je fuir à la campagne pour vivre loin de tout ça ? Ou peut-il y avoir un futur viable dans des villes plus écolos ?
« Quand il y a un problème en ville, tout le monde se souvient subitement du cousin à la campagne. On a besoin d’utopie, c’est une forme de transgression nécessaire. Mais c’est un obscurantisme de croire que les villes seront écolos. Vous voyez bien ce qui se passe, ce confinement des gens dans cet élément étanche qu’est la ville. Oui, la ville est une catastrophe. Son caractère hors sol, loin de la vraie nature, produit beaucoup d’angoisses. On parle d’ailleurs d’agglomérations, les gens sont agglomérés. Et enfermés. Dans des boîtes de la maternelle à l’université. On travaille ensuite dans des boîtes, on va s’amuser en boîte, on roule dans sa caisse, on ira dans une boîte à vieux et on finira dans la boîte que vous imaginez. Quelle tristesse ! Arrêtons l’illusion.
À quel moment je peux vivre ? On a un mois sur douze pour glisser à la neige ou bronzer l’été. J’assiste à une confiscation de l’existence par un système esclavagiste. En quoi un être humain serait-il consigné à vie à produire pour augmenter le produit intérieur brut et contribuer à cette féodalité planétaire où les milliardaires dont je parlais confisquent l’essentiel des ressources ?
Entre 30 et 40 % de ce que nous produisons est superflu. Pauvre ou riche, aucun être humain n’aspire pas à la joie. Pauvre ou riche, qui est vraiment heureux ? Les gens prospères consomment aussi trop d’anxiolytiques et on peut être joyeux sans avoir grand chose. »
– Tout le monde. Comment faire machine arrière ?
« Il est illusoire de penser qu’on pourra changer de système du jour au lendemain. Cela se fera en douceur pour que chacun prenne conscience de son inconscience. On regarde le monde et on se dit «à quoi bon ?» On croit se battre contre des moulins ? Ce que l’on fait est dérisoire ? Faites votre part comme dans l’histoire du colibri (lien). »
– François. Vu l’urgence, vous ne pensez pas à une rupture plutôt qu’à une lente transition ?
« Il ne faut pas tarder, voilà qui est certain. Le drame est déjà là. Ces guerres, cette terreur, ces enfants mourant de faim, la nature et les sols détruits etc. L’homme est devenu hors sol, hors de la logique de la vie. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Mais travaillons, faisons tout ce qu’il faut pour modifier notre histoire et cela commence par se changer soi. C’est une responsabilité bien sûr, pour dissiper avant tout cette suprématie de l’argent. »
– Pierre. À quoi bon ? À quoi servent nos actes si mes voisins ne font strictement rien ?
« Vivez comme vous devez le faire. L’essentiel est l’élévation de la conscience. Je ne parle plus d’insurrection, mais de convergence des consciences. Il est important d’être cohérent avec soi-même. Je ne cherche pas à convertir les autres mais je vis paisiblement ce que je dois vivre. Et croyez-moi, ne pas chercher à influencer les autres a plus d’impact que chercher à le faire à tout prix. Les autres bougeront en voyant votre façon de vivre plus harmonieuse et plus heureuse. Ils seront interpellés. Par exemple, produire et consommer bio localement devrait être le slogan absolu pour tout le monde. La nourriture ne devrait pas voyager. Le problème est que le paysan qui gérait un vrai écosystème naturel avec une terre saine et protégée par des haies est devenu un exploitant agricole ou un industriel de la terre.
Les agriculteurs sont piégés par leurs dettes et par le système. Ils contribuent souvent malgré eux à la destruction de l’espace agricole. Près de chez moi en Ardèche, une ferme avec des dizaines d’hectares est moins performante que la mienne avec trente chèvres. Leur fromage, je le vendais tous les samedis sur le marché de Vans en faisant des conférences. Les clients devenaient des amis et on était heureux. Tout cela plaide en faveur de la sobriété. »
– Bruno : Quel est votre regard sur la politique ?
« Le mode d’organisation sociale est une erreur et on continue à gérer cette erreur. Gauche ou droite, c’est pareil. On ne devrait avoir qu’une politique de la vie mais aujourd’hui la confusion est totale, le capitalisme financier a investi la gauche comme la droite. Qu’est-ce que la princesse de Paulignac a à faire avec un petit Arabe comme moi ? On est pourtant en amour sur notre conception de la vie. C’est une convergence de deux consciences. »
– François. Est-il trop tard pour que l’homme redevienne humain ?
« Non ! Il est à la fois trop tard par rapport à la situation écologique et sociale du monde mais il est encore temps. L’humanité perd de son sens en détruisant la nature. Je me dis souvent “mon pauvre vieux, pourquoi tu t’emmerdes avec tout ça ?” Mais je ne sais pas à qui donner ma démission. J’ai 78 ans. Pour tenir, je me recrée mon petit espace de bonheur en rencontrant les gens et en prenant le temps dans mon jardin. On se recharge comme une batterie. Vous voyez bien que notre planète est magnifique mais que nous créons notre propre enfer. Quel scandale de renoncer ainsi au miracle de la vie ! Nous avons profané toute idée du sacré, et ce n’est pas s’affilier à telle ou telle église. Les peuples primitifs savent rendre grâce à une Terre-mère, la nature à qui ils appartiennent.
Le seul texte que j’ai punaisé dans ma chambre est celui du chef indien Seattle. Dans ce texte mythique, Seattle répond en 1854 au président des états-Unis qui veut lui acheter plus d’un million d’hectares de terre. Mais comment, lui dit-il, acheter une terre sacrée à qui l’Indien appartient ? Peut-on se vendre soi-même ? C’est la question fondamentale : est-ce que je vis vraiment ou est-ce que je ne fais qu’exister avant de mourir ? En Ardèche, des voisins se lèvent, déjeunent, vont jouer à la belote et à la pétanque avant de dîner et d’aller au lit après la télé. Mais peut-on être indifférent à la réalité du monde ? »