dimanche 16 octobre 2016

René Dumont, premier candidat écologiste à la présidence

Le 5 mai 1974, René Dumont est le premier candidat écologiste à la présidence de la République. C’est un agronome, homme de terrain expérimenté que le combat contre la faim dans le monde a mené à l’écologie. Mais ce 5 mai, aux yeux des Français, c’est un illuminé


« Notre société est une société de domination, est une société de profit, est une société de pillage du tiers-monde, est une société de gaspillage des ressources rares de la planète, d’oppression, de pollution invraisemblable et cette société, nous le savons maintenant, nous conduit assez vite à la mort si nous continuons sur la même lancée. » Assis sur un banc à côté d’une pomme, ou buvant, en direct, un verre d’eau « précieuse puisqu’avant la fin du siècle, si nous continuons avec un tel débordement, elle manquera », René Dumont, 70 ans, promet aux Français un avenir apocalyptique. Parlant avec le même élan de la famine qui menace et de la voiture comme d’une plaie d’Égypte.

L’homme au pull-over rouge
Comme si cela ne suffisait pas, il a troqué la sévérité du costume-cravate du candidat à la présidentielle contre la décontraction d’un pull-over rouge et une coupe échevelée. Aux yeux des Français qui le découvrent devant leur nouveau poste de télévision couleurs, rentrés du bureau dans leur 4L, sagement rangée au garage, René Dumont est un vieux fou. Un illuminé pour lequel, ce 5 mai 1974, ils n’iront pas voter.

Ils ne savent rien de René Dumont. Ils ignorent que sa candidature écologiste à la présidence, loin d’être fantaisiste, est le tournant d’un combat débuté cinquante ans plus tôt aux côtés des paysans, dans les rizières d’Indochine. Jeune agronome, il avait été affecté au Tonkin pour améliorer la culture du riz. Le jeune homme est frappé par la sous-alimentation chronique des paysans. Quand en 1933, les prix s’effondrent, la famine soulève une révolte réprimée à tirs de mitraillettes. Il est révulsé.

En 1923 déjà, Dumont avait été confronté à la faim, au Maroc, sous protectorat français : « Il y avait eu une sécheresse, une mauvaise récolte, les tribus du sud n’avaient pas de quoi nourrir toute leur famille alors il avait été décidé simplement d’abandonner, dans chaque famille, la plus jeune des filles. Celles-ci n’avaient pas le droit de vivre. Ce sont des choses qu’on ne racontait pas dans les journaux français de l’époque. » Des choses qui s’inscrivent à jamais dans le cœur d’un homme.

Dès lors, René Dumont fera de la lutte contre la faim dans le monde le combat de sa vie. En tant qu’ingénieur agronome, il s’en était fait un devoir. Le professeur multiplie les missions « dans les pays de la faim », toujours sur le terrain aux côtés des paysans les plus pauvres.

Contre le pillage du tiers-monde
On le dit d’un caractère emporté, il se fiche comme d’une guigne de se brouiller avec les chefs d’État qui le consultent, il veut que chacun mange à sa faim. Les enfants, particulièrement, l’affectent. D’un côté des excédents de lait en Europe, de l’autre, dans les pays tropicaux, des petits carencés en protéines… « J’ai vite compris que le développement du capitalisme était largement basé sur le pillage du tiers-monde. » Économiste formé par le terrain, il défend et aspirera toute sa vie à un socialisme « humaniste et durable ».

Il fait 1,32 % à la présidentielle
L’écologie est venue après, avec la remise en question de l’agronomie productiviste obtenue « en maîtrisant la nature » au profit d’une agronomie avec la nature, qui « préserve le futur ». Mais « l’activité agricole étant dominée par une série de décisions économiques qui ne peuvent pas ne pas avoir d’implications politiques, l’agronome est obligé de choisir, s’il refusait de choisir, il s’avouerait par là même partisan du statu quo. »

Ce qu’il n’est pas. Fidèle à ses convictions, à 70 ans, René Dumont s’engage en politique. L’urgence de préserver les ressources naturelles, le réchauffement climatique, la pollution… l’actualité de son discours écologique, vieux de quarante ans, est presque effrayante. En 1974, il est inaudible. Il fait 1,32 % à la présidentielle. On le moque. Quelle importance, la plus grande déception de sa vie est ailleurs, dans « l’échec de la lutte contre la faim ». Cet homme-là n’était pas fou. Il était révolté.

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